lundi 27 juillet 2015

Louys - Mme Louise Tuchschmid

Louise peint sur une petite table, assise près de la fenêtre.
(fig 1)
Louise peint depuis 35 ans. Des bouquets, des paysages sont réalisés en une technique traditionnelle d'huile et de térébenthine. Depuis peu, Louise réalise ses paysages en utilisant ses doigts pour les arbres, les feuillages (fig 1). Ses toutes dernières oeuvres, toutes récentes, adjoignent l'abstraction dans le paysage. Sur sa table, une feuille est déjà couverte d'un fond bleu. Le travail est bien avancé.

- C'est de l'huile soluble à l'eau, me dit-elle. C'est mon neveu qui m'en a parlé. Vous comprenez, ici, avec la térébenthine, ce n'est pas possible (note : nous sommes dans un établissement médico-social). Alors il m'a initiée aux crayons qui se diluent aussi avec de l'eau.

Elle me montre encore un cheval d'une esthétique remarquable, presque orientale.
- C'est mon neveu qui l'a fait, au crayon justement.

Elle m'explique, d'un air approbateur, qu'il offre toutes ses oeuvres.
(fig 2)

Elle-même a beaucoup exposé et très souvent vendu, «mais à très bas prix, uniquement pour continuer à peindre». Je lui souris ; j'avais la même attitude lorsque les enfants étaient encore notre priorité financière.
Aujourd'hui, je pratique comme son neveu : cadeau. En attendant un meilleur système de diffusion, de partage. Bref, Louise et nous (Christina est présente, ainsi que Charlotte, qui nous a introduit) nous accordons parfaitement sur cette idée que de ne pas gagner sa vie par l'art permet de vivre pleinement et librement grâce à l'art.

C'est vrai que la pièce est petite. Les murs sont tous couverts des travaux de l'année (et nous ne sommes pourtant qu'en juillet !) accompagnés de quelques grandes oeuvres, plus anciennes. Par exemple se trouve à l'honneur un grand bouquet de couleurs festives, les fleurs savamment texturées d'empâtements délicats.

Le lit prend presque toute la place disponible. Est-ce un atelier dans lequel elle dort ? Une chambre où elle peint ?

J'ai sous mes yeux la preuve évidente que Louise fait toujours évoluer son travail ; non seulement techniquement, mais aussi bien quant à la forme donnée à ses sensations, ses concepts. Mon émotion est forte. Cette pièce est un foisonnement de couleurs, de sensibilité, de travail, de vie.
Au présent.













(Oeuvres récentes)












Merci, "Louys"

Je ne peux vraiment conclure ici ce récit.
Cette rencontre est encore en train de me travailler, en profondeur, afin de prendre une place majeure dans ma mémoire.
Louise Tuchschmid a 97 ans. Nous sommes ici dans un établissement médico-social où elle s'est retirée.
 La vitalité que Louise nous a offerte ce jour-là, au travers de sa personne et de son art,  ensemence mon présent.

Pour longtemps.
















And now,

The English version of this topic, revised by Christina

Louise paints on a small table, sitting by the window.
Louise painted for 35 years. Bouquets, landscapes are made of traditional oil and turpentine technique. Recently, Louise realizes her landscapes using her fingers to do the trees and the foliage. Her latest works, all recent, subjoin abstraction into the landscape. On her table, one sheet is already covered with a blue background. The work is well advanced.

- It's water soluble oil, she says. My nephew taught me how to use it. You see here, working with turpentine is not possible (note: we are in a nursing home). Thus he also introduced me to some pencils which also dilute with water.

She also shows me a horse of remarkable aesthetics, almost oriental.
- My nephew did it, just in pencils.

She explains, approvingly, that he offers all his works as gifs. She herself has exhibited widely and very often sold, "but at very low prices, only to continue painting." I smile at her; I had the same attitude when our children were still our financial priority. Today, like her nephew, I give my works as gifts to those who are interested. Until a better distribution, sharing system is found. In short, Louise and us (this is Christina and daughter Charlotte who introduced us) sincerely believe that not trying to make a living with our artworks allows us to live fully and freely through art .

Her room is quite small. The walls are almost all covered with this year' work (and we are not yet in July!) Along with some great works, the oldest. For example, at the place of honor, stands a huge bouquet of festive colors, flowers cleverly textured with delicate impasto.

The bed takes most of the available space. Is it a workshop where she sleeps? A room where she paints?

I have before my eyes clear evidence that Louise makes always evolve its work; not only technically, but also on the form given to her feelings, her concepts. My emotion is strong. This room is a profusion of colors, sensitivity, work, life. Here and now.

I cannot really conclude this story here. This encounter is still moving me deeply, taking a major place in my memory. The vitality that Louise, 97, has offered us that day, through her person and her art, seeded my present.

For a long time.

vendredi 17 juillet 2015

Peinture et art déviants

Nous avons eu l'occasion d'aborder quelques questions sur les portraits dans ces pages. Il y a eu le portrait de mon épouse et un auto-portrait. Le dernier article exposait le portrait d’une expérience très spéciale que j’ai vécue.
J'ai senti la nécessité de m'entourer de deux nouveaux portraits, ayant chacun pour modèle la photographie en noir et blanc de peintres dont l’œuvre et la démarche artistique ont eu un grand impact dans mon propre parcours artistique. Plus qu'une influence visuelle, picturale, c'est bien plutôt d’une parenté d'état d'esprit qu'il s'agit.

Pierre Bonnard 

Bonnard (1867-1947)
Outre une évolution exemplaire et une œuvre remarquable, sa manière d'élaborer ses images témoignent d'une grande honnêteté, authenticité, pouvant aller jusqu’à l'inquiétude, tant les travaux préparatoires et le soin donné à l'observation de chaque détail prennent de l'importance et de la place dans son emploi du temps.
De plus, Bonnard était un chercheur. En groupe d'abord, parmi les Nabis. Il fit ce constat à Ingrid Rydbeck lors d'une rencontre chez lui à Deauville, en 1937 : « Voyez-vous, quand mes amis et moi voulûmes poursuivre les recherches des impressionnistes et tenter de les développer, nous cherchâmes à les dépasser dans leurs impressions naturalistes de la couleur. L'art n'est pas la nature. Nous fûmes plus sévères pour la composition. La couleur était un moyen d'expression duquel nous devions tirer davantage. Mais l'évolution fut plus rapide que nous. La société accueillit le cubisme et le surréalisme avant que nous ayons atteint ce que nous avions considéré comme notre but… Nous nous trouvâmes comme suspendus dans l'espace en quelque sorte…»
Aussi, poursuivit-il seul, presque en ermite, sa quête de vérité. Il se tenait pourtant informé de l'évolution de ses amis et de l'art dans la capitale.

Roger Chomeaux, dit "Chomo"

Chomo (1907-1999)
Élève surdoué et primé plusieurs fois au cours de sa formation de sculpteur à l’École Nationale des Beaux-arts de Paris, il en vint à rejeter l'ensemble du monde artistique de son époque. Il vécut très mal un différend qui dégénéra en scandale lors d'une exposition qui remportait pourtant un immense succès en 1960. Retranché en forêt avec femme et enfants, il fonda et construisit de ses mains le Village d'Art Préludien. Il y bâtit de nombreuses constructions, tout en sculptant, peignant, écrivant, composant et produisant même une douzaine d'heures de film.
Voici quelques une de ses sentences sur l'art :
La vitesse est une insulte au créateur 
Le temps n’existe pas dans la pensée 
Dépassée la frontière de la souffrance, c’est la béatitude 
Avoir osé aller jusqu’aux extrémités de l’âme.
L’artiste pur est un médium disponible à toutes les sensibilités 
L’art n’est pas fait pour être vendu 
Je suis riche de pauvreté, ils sont pauvres de richesse 
Quelle empreinte auras-tu laissée sur la terre pour que ton Dieu soit content ? 
etc.
Pierre Bonnard et Chomo sont pour moi des compagnons de réflexion grâce à leurs communications qui témoignent d'un lent travail de maturation et de développement artistique.
Et si l'on vendait les oeuvres de Bonnard à des prix qu'il trouvait trop élevés, il qualifiait cela de "pas convenable", et offrait directement sa peinture pour des sommes dérisoires, au grand dam de ses marchands d'art habituels.

Bonnard et Chomo : deux caractères opposés, mais un sens commun du souci d'authenticité artistique et d’une certaine pratique de l'ascèse.

J'aurais pu joindre JMW Turner à cette liste, lui qui s'y connaissait également en recherche artistique et en ascèse (il n'utilisa son immense fortune que dans le but d'une diffusion ultérieure gratuite de son art). Il était, lui aussi, un praticien de l'authenticité, jusque dans l'expression du sentiment d'une certaine sublimité. Je n'ai malheureusement fait de lui qu'un portrait ayant pour modèle son masque mortuaire, seule représentation fiable de son visage de peintre adulte. Cependant, je refuse une représentation cadavérique comme symbole d'un interlocuteur. D'ailleurs, la représentation spirituelle, mentale que je me suis fabriquée de lui au travers de sa peinture, de ses écrits et des nombreuses monographies que j'ai lues à son propos, suffit largement à mon bonheur. Je recommande par ailleurs le site de la Tate Gallery qui propose les reproductions numérisées de l'ensemble des oeuvres qu'elle abrite sous son toit.

Voilà pour cet article.
J'espère reprendre rapidement la suite de ma propre quête picturale. J'en rendrai compte bien sûr en ces pages, sans omettre de citer les quelques peintres que mon chemin m'amène parfois à rencontrer.
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English résumé by Christina 

Painting and deviant art 

We take the opportunity to address few questions about the portraits on these pages. There were a portrait of my wife and a self-portrait (link to article). The last article outlined a portrait of my way of living a very special experience.
I felt the need to surround myself with two other portraits, each of them deriving from black and white photographs of painters, whose work and artistic approach had a great impact in my own artistic development. More than a visual, pictorial impact, it is rather a kindred spirit.

Pierre Bonnard 

Besides exemplary evolution and remarkable work, his way of elaborating pictures shows a great honnesty, authenticity up to worry, as the preparatory work and the care given to the observation of every detail take great importance and place in his schedule.
In addition, Bonnard was a researcher. In team first, among the Nabis, he made this observation to Ingrid Rydbeck during a meeting at his house in Deauville in 1937:
"You see, when my friends and I wanted to pursue our impressionist researches and tried to develop them, we strived to exceed their naturalistic color printing. Art is not nature. We were more severe for composition. Color was a mean of expression of which we wanted to obtain more. But the evolution was faster than us. Society welcomed cubism and surrealism before we reached what we considered to be our goal…  In a certain way, we found ourselves as if suspended in space... "
So he pursued alone, almost as an hermit, his quest for the truth. Yet, he stood informed of the evolution of his friends and of the art, in general, in Paris.

Roger Chomeaux alias "Chomo"

Gifted student and laureate of several awards during his training as a sculptor, at the National School of Fine Arts in Paris, he came to reject the entire art world of his time. Although an exhibition of his work encountered a huge success in 1960, a severe argument degenerating into a scandal caused his entrenchment in a forest he had inherited with his wife and children. There he founded and built with his own hands the Village Art Préludien. He raised many buildings, while sculpting, painting, writing, composing music and even producing a dozen hours of films.
Here are some of his sentences about art:

Speed ​​is an insult to the creator 
Time does not exist in the mind 
Once exceeded the border of suffering remains blessedness 
Daring to go to the extremities of one’s soul. The real artist is a medium available to all sensibilities 
Art is not made to be sold 
I am rich in poverty, they are poor in wealth 
What imprint will you leave on earth for thy God be pleased ? 
etc… 

Pierre Bonnard and Chomo are for me reflections companions through their communications who show a slow process of maturation and artistic development.
And if they sold Bonnard’ works at prices he considered too high, he would describe it as "not suitable" and directly sell his paintings for derisory sums, to the great displeasure of his usual merchants.

Bonnard and Chomo: two opposite characters, but a shared sense of concern for artistic authenticity and asceticism practice. I could join JMW Turner, who also knew his share about artistic research and asceticism,  to this team (he used his vast fortune to free its subsequent diffusion of art). He also was a practitioner of authenticity in the expression of a certain sublimity.
I made, years ago, a portrait of him, whose model was, unfortunately, his death mask, the only reliable representation of his adult face. Somehow, I refuse cadaver representation as a the symbol of an interlocutor. Moreover, all the spiritual, mental representations of him that I collected through his paintings, writings and the numerous monographs that I have read, widely suffice to my happiness.
I also  recommend the Tate Gallery site which offers digitized reproductions of all the works it houses under its roof.

So much for this article.
I hope to quickly resume with my own pictorial quest. Which I will relate of course in this pages, without failing to mention the few painters that my path leads me to meet sometimes.
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