vendredi 18 décembre 2015

la matière psychopompe

Je travaille depuis quelque temps sur ce tableau    - invitation [lisière-edge] 02.
invitation lisière 02
J’ai le bonheur de peindre quelques heures chaque jour. C’est l’une de mes activités les plus équilibrantes. J’ai atteint hier ce moment très spécial où je sens que cette aventure particulière qu’est l’élaboration d’une image arrive à son second point culminant – l’interruption du processus créatif pour cause d’achèvement probable. Le troisième temps fort sera la transmission du tableau à un dépositaire.
Mais qu’en est-il du premier temps fort : celui où la concrétion de l’esprit est tellement puissante qu’elle met le peintre en route sur une nouvelle œuvre et l’accompagne durant tout le processus créatif ?
Hier, disais-je plus haut, je regardais mon travail lorsque l’évidence d’une réminiscence m’est apparue : tout un pan du tableau trouvait écho dans une œuvre que je connaissais bien, l’ayant vue à quelques reprises depuis une vingtaine d’années.
J.M.W. Turner
La déesse de la discorde
choisissant la pomme de contention
dans le jardin des Hespérides
exposé en 1806
Cela ne m’a pas choqué. Je sais que ma pensée a des racines culturelles. Je ne revendique aucune capacité divine de création « originale » dans le sens courant de « originel ». De plus, j’aime énormément Turner qui, lui aussi, s’inspirait ouvertement des courants artistiques auxquels il savait appartenir.
L’autre aspect, qui m’est apparu évident et intéressant, de mon image – maintenant que j’avais pris un peu de recul vis-à-vis d’elle –, est qu’elle se composait d’éléments qui faisaient partie de mes réflexions actuelles : menaces de daech et dérèglement climatique terrestre, ainsi que mes propres capacités d’action quant à ces deux problèmes.
« Arte » et « poiête » signifient en latin et grec « concrétiser, matérialiser, fabriquer ». L’artiste et le poète fabriquent, matérialisent et concrétisent. C’est leur essence, leur rôle, leur finalité. Mais sur quel motif ?
Je pense qu’il s’agit de se rendre complètement perméable à son existence propre et à son contexte vital, usant de toute ses sensibilités, et de les exprimer de manière à les transmettre intelligiblement au sens spirituel du terme. Il s’agit de s’adresser essentiellement à l’esprit de tout individu, à commencer par soi-même, pour animer son existence. L’esprit étant ce qui soutient l’individu dans son action.
Le psychopompe, selon la définition acceptable de Wikipédia, est l’être fantastique, mythique, qui conduit l’âme vers son ultime destination, quelle qu’elle soit.
Hormis l’aspect « ultime », sait-on jamais quelle sera notre dernière décision ? l'artiste-poète est bien celui qui, par l’énergie induite de son œuvre, conditionnera et animera le présent de celui qui la reçoit.
Ne serait-ce pas là une définition acceptable ? Je la préfère à celle qui voudrait qu’un artiste est celui qui vend ses œuvres (ce qui réduirait Vincent à n’être qu’un raté et élèverait Christie ou Sotheby au rang de génies artistiques. Rire.
Ceci étant posé, je me rends compte, intuitivement, qu’il y a une distance très courte entre un psychopompe et un propagandiste : l’intention. Le psychopompe agit en révélateur de la personne qui reçoit l’œuvre, puisqu’elle a besoin de son propre esprit pour « compléter » l’œuvre, lui donner un sens acceptable pour elle ; le propagandiste, quant à lui, cherche à enclore l’esprit dans une pensée unique, unifiée, selon les critères intéressés d’une tierce personne. Une toute petite nuance…
L’artiste pour éviter cet écueil doit donc s’adresser à lui, en une recherche intérieure. Son travail trouvera écho, ou non, selon qu’il sera en adéquation ou en décalage avec ses contemporains, ici, maintenant, ailleurs, plus tard.
C’est sans doute ce qui fait la véritable histoire de l’art.
Merci de votre attention.

Voici maintenant, pour nos amis anglophones, la version de Christina :
And here is the English version of Christina :

English Résumé

Title: The psychopomp (guide of souls) material
I work for some time on this picture -Invitation edge-edge 02.
invitation edge 02
I have the happiness to paint a few hours each day. It is one of my most balancing activities. I attained yesterday the very special time when I feel that this particular adventure, such as the development of an image, reaches its second climax – the interruption of the creative process because of probable completion. The third highlight will be the transmission of the painting to a custodian.
But what about the high point : where the concretion of the mind is so powerful that it sets the artist en route on a new composition and stimulates him during the entire creative process?
Yesterday, as I said earlier, I looked at my work when the evidence of a reminiscence appeared to me : an entire section of my picture was echoed in a work that I knew quite well, having seen it a few times over the last twenty year.
J.M.W. Turner 
The Goddess of Discord
Choosing the Apple of Contention
in the Garden of the Hesperides
exhibited 1806

I was not shocked. I know that my thoughts have cultural roots. I do not claim any divine capacity of "original" creation in the current meaning of "original". Again, I absolutely love Turner, who , too, was openly inspired by art movements which he knew to belong.
The other aspect, that became clear and interesting to me, of my image - now that I had taken some distance, is that it consisted of elements that were part of my current reflections : daech threats and terrestrial climate disruption, as well as my own (in)capacity for action facing both issues.
"Arte" and "poiête" mean in Latin and Greek "concretize, materialize, making". The artist and the poet manufacture, concretize and materialize. Its their essence, their role, their purpose. But on what grounds ?
I think one must render itself totally permeable to its own existence and vital context, using all his sensibilities, and expressing them in an intelligible and spiritual way. It is a question of addressing essentially to the mind of each human being, starting with oneself, to animate his existence. The spirit being what sustains the individual in his action.
The psychopomp, according to the acceptable definition of Wikipedia, is the fantastic, mythical being, which leads the soul to its ultimate destination, whatever that is.
Apart from the "ultimate" aspect, who knows what will be our last decision ? the artist-poet is the one who, through the induced energy of his work, will condition and animate the present of the one who will receive it.
Would this not be an acceptable definition ? I prefer it to the one pretending that the «real» artist is the one who sells his works (which would reduce Van Gogh to a looser and raise Christie or Sotheby the rank of artistic geniuses). Laugh.
That said, I realize, intuitively, that there is a very short distance between a psychopomp and propagandist : the intention. The psychopomp acts as revealer of the person receiving the work, since he needs his own mind to "complete" the work, give it an acceptable meaning; the propagandist, as for him, seeks to enclose the spirit in an unique thought, unified under the criteria of an interested third party. A tiny nuance...
The artist to avoid this pitfall must address him in an inner search. His work will resonate, or not, wherever it will be compatible or alien to the mindset of his contemporaries, here, now, elsewhere, later.
This is probably what makes the true history of art.
Thanks for your attention.

samedi 5 décembre 2015

Logique et bio

Produire des œufs au XXIe siècle est-il plus ou moins naturel que de fabriquer du méthylcellulose à partir de sciure de bois ?
Utiliser une tempera à l’œuf - lorsqu’on n’a pas de poule pondeuse - est-il plus biologique que de faire une tempera au méthylcellulose ?
La réponse est devenue si peu évidente que j’en viens presque à espérer que les essais au méthylcellulose fonctionneront au moins suffisamment bien pour que je puisse encoller mes bleus et mes blancs avec lui plutôt qu’au jaune d’œuf (qui altère toujours légèrement la couleur).
Autre problème. Lorsque l’on travaille a la tempera, il arrive qu’il soit nécessaire d’obtenir une couche irréversible, autrement dit insoluble à l’eau. Pour ce faire, on recommande habituellement un ajout de vernis Dammar. Sachant qu’il était produit en monoculture intensive, je m’étais toujours abstenu de l’utiliser.
gomme de prunus, Capaplex, résine Dammar
Mais puisqu’il existe désormais en culture “responsable”, alors je me ferai une joie d’y avoir recours, au vu des réelles difficultés liées à l’obtention et à l’utilisation de la gomme de prunus, qui demande de toute façon un traitement chimique pour devenir insoluble (albumine + formol, ev. alcool).
Enfin, il existe depuis des décennies un liant vinylique, utilisable en phase aqueuse, et qui devient irréversible après séchage : Caparol et Capaplex.
Pourquoi pas ?
Je décide de faire l’essai : je me procure de la résine Dammar, du méthylcellulose, et également du Capaplex, qui est (en gros) du Caparol dilué, protégé par des agents bactéricides (le Caparol est aussi sensible que le jaune d’œuf !).

En utilisant judicieusement ces trois produits, je devrais réussir à obtenir des couches faciles à travailler et des couleurs proches des pigments que j’utilise.

méthylcellulose : mélange à la main et au batteur électrique
Le méthylcellulose semble peu évident à mettre en œuvre : il absorbe jusqu’à 25x son volume d’eau et ceci très rapidement ! Il faut donc trouver le meilleur moyen de mélanger la poudre et l’eau… mais il semble qu’un peu de patience sera la solution (il est recommandé de laisser reposer la préparation quelques heures avant l’emploi).
Quant à la résine Dammar, les recettes ne manquent pas. J’utiliserai l’essence de thérébentine à 2 volumes pour 1 de résine broyée, ce qui permettra une utilisation la plus large possible (additif et vernis).
Voilà, c’est tout pour ce petit article purement technique cette fois-ci !

 Et voici la version anglaise de Christina :
And here is the English version of Christina :

English Résumé

Producing eggs in the twenty-first century is it more or less natural than manufacturing methylcellulose from sawdust?
Using egg tempera – when one does not raise hens- is it more biological than making a tempera using methylcellulose ?
The answer is so unreliable, I almost came to the hope that the test with the methylcellulose will function at least well enough for me to glue my blue and my white with it rather than with the egg yolk (which still produces slight change of colors).
Another problem. When working with tempera, it is sometimes necessary to acquire an irreversible layer, insoluble in water. To do this, an addition of dammar varnish is usually recommended. Knowing it was produced in intensive monoculture, I always refrained from using it. But since it is now obtainable in "responsible" culture, I'd be happy to recourse to it in view of all the difficulties associated with the obtention and use of gum prunus, which requires anyway a chemical treatment in order to become insoluble (albumin + formalin, ev. alcohol).
Thus, for decades, a vinylique binder does exist which is used during the aqueous phase, and becomes irreversible after drying : Caparol and Capaplex.
Why not ?
I decide to experiment it : I acquire some dammar resin, some methyl cellulose, as well as some Capaplex, which is basically the Caparol diluted and protected by bactericidal agents (the Caparol being as sensitive as egg yolk !).

By efficiently working these three products, I should get layers easy to work with and colors close to the pigments I use.

Methylcellulose does not seems obvious to implement: it absorbs up to 25x its volume of water and this very quickly !  I must find the best way to mix the powder and the water… but it soon appear that a little patience will be the solution (it is recommended to leave the preparation to stand a few hours before use).
As for the dammar resin, recipes abound. I will use turpentine for 1 to 2 volumes of ground resin, allowing the widest possible use (additive and varnish).
There, that's it for this small article purely technical this time !